DES textes pour UNE école

lundi 2 février 2009

Un espace pour penser, par Liliane Viala

L’école d’art : un espace pour penser et expérimenter l’art et les activités de création dans un rapport au monde

Les transactions spectaculaires réalisées en septembre 2008 par Sotheby’s avec les œuvres de Damien Hirst illustrent les transformations opérées sur l’art, les artistes et les publics par les industries culturelles et le marché.

Qu’est-ce qu’un artiste dans une société qui l’érige en modèle du nouveau travailleur soumis à l’injonction d’innover, de créer, de s’adapter en permanence pour répondre à des logiques de marché déconnectées de toutes réalités sociales, écologiques et humaines ?

Dans un contexte de crise économique et sémiotique où l’art et l’innovation sont assujettis à toutes les formes de prédation, la création artistique se réduit à des produits glamours pour le marché de l’art, réifiés, instrumentalisés par des stratégies de marketing et les exigences de l’audimat. Quelle institution est aujourd’hui capable de résister aux injonctions du marché et de se soustraire aux mécanismes de l’économie néolibérale pour inventer d’autres propositions que la production de stars ou de créatifs aux ordres ? Musée ? centre d’arts ? biennales ? école d’arts ? Des institutions placées sous la tutelle du ministère de la Culture sont-elles encore en mesure de contribuer à l’émergence de nouvelles pratiques réconciliées avec leurs valeurs d’usage, conscientes et connectées à un processus de vie ?

L’école d’arts s’oppose à la fois au repli sur soi – position de la tour d’ivoire qui garantirait les transmissions académiques et l’apprentissage de savoir-faire – et aux impératifs d’efficacité et de performance du marché ubiquiste. L’imbrication singulière de la pratique et de la théorie qui la caractérise fait de l’école d’arts un laboratoire d’expérimentations artistiques et sociales en prise directe avec des contextes économiques et sociaux. L’art est une relation au monde, un processus continu. L’enseignement artistique doit se construire autour des questions de production, de coopération et de responsabilité où les dispositifs de présentation et de diffusion sont pensés ensemble. L’art et tout travail créatif demeurent indissociables des modèles de société auxquels ils contribuent.

L’école d’arts accompagne l’étudiant au cours d’un continuum de découverte et d’apprentissage de langages. Le doute, l’errance, l’hésitation y sont autorisés. L’école d’arts ne formate pas ses étudiants pour répondre uniquement à des besoins identifiés d’un marché – ce qui ne les empêche pas d’y être très bien formés pour y répondre.

L’école d’arts permet des expériences artistiques et pédagogiques à travers un cadre souple, ouvert sur le contexte à partir duquel elle se déploie. Tout au long d’un cheminement personnel où il élabore sa propre pratique, l’étudiant se forge des outils plastiques, conceptuels et théoriques au contact de personnalités hétérogènes – les enseignant sont artistes, chercheurs, théoriciens, professionnels dans différents champs de la création. Le dialogue est également enrichi par les usagers de l’école – étudiants de la classe préparatoire et du supérieur, collégiens ou lycéens du périscolaire, amateurs en cours du soir, professionnels ayant bénéficié de la Validation des acquis de l'expérience (VAE). Ce dialogue se nourrit de nombreux liens qui se nouent, selon les projets, avec les interlocuteurs extérieurs les plus divers – salariés en formation ou en activité dans différents secteurs de l'économie, demandeurs d’emploi, citoyens, etc. L’école d’arts tisse des réseaux dans des champs disciplinaires et des territoires multiples, au-delà des frontières de l’art institué. Son déploiement s’étend hors les murs à travers des articulations entre des espaces micros – institutions publiques ou privées, quartiers, ville, région, etc. – et macros – structures géographiquement plus éloignées, en France ou à l’étranger. Elle investit des questions artistiques autant qu’économiques et sociales très variées – citoyenneté, vie quotidienne, urbanisme et architecture, environnement, ville, campagne, éducation, formation professionnelle, entreprises, nouvelles technologies, etc. Et elle surgit parfois là où l’on ne l’attend pas !

Lieux de recherches et de formation singuliers, les écoles d’arts doivent défendre la dimension de laboratoire expérimental, pratique et théorique qui les différencient profondément des écoles d’arts appliqués ou des universités. La transformation de leurs statuts pour répondre aux exigences de la réforme LMD ne peut se dérouler sans qu’elles soient associées à la réflexion avec tous les acteurs politiques. Pour préserver leurs singularités et renforcer leurs spécificités, il est urgent de faire comprendre à nos politiques et à nos élus que les écoles d’arts sont porteuses d’enjeux économiques et sociaux qui peuvent contribuer à l’émergence de nouvelles pratiques et de nouveaux usages.

Liliane Viala - 9/10/08

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